Elle m’agace, elle m’agace tellement… au moins maintenant elle me fout la paix. Voilà ma belle… Je lui dégage les cheveux qui lui cache son beau visage. Son maquillage a coulé, on dirait un clown d’une mauvaise série B, moins gracieuse soudainement, dommage. Elle en a mis du temps avant de comprendre qu’il ne servait à rien de crier et de gesticuler comme un poisson hors de son bocal. De toute façon elle va mourir ici comme toutes les autres. Bon je vais me faire un café.
Franck Pelé s’était alors relevé, accroupi il commençait à sentir les fourmis lui labourer les jambes.
Elle ne bouge plus, c’est bien. C’est drôle on dirait qu’elle a déjà quitté ce monde, heureusement que son ventre bouge, je pourrais croire sinon qu’elle m’ait volé mon plaisir…
Franck était d’un tempérament calme, depuis qu’il était nourrisson il avait appris à se faire oublier. Son père, un alcoolique notoire, l’avait cahoté violemment bien des fois ; bien cher payé pour avoir osé réclamer la tétée… Sa mère Elisabeth avait alors troqué quelques coups contre un temps calme avec son fils. La jalousie d’un homme devant partager les seins de sa femme… C’est donc le visage tuméfié qu’elle se penchait sur l’être qui lui donnait la force de tenir. Si cela n’avait pas altéré la santé du bébé, l’incidence notoire sur sa vision de la vie et des hommes était en revanche totale.
Pourquoi il ramassait les filles pour les conduire dans cette même cave où son père battait sa mère, il ne le savait pas. Pourquoi les conduire dans cette salle insonorisée, dissimulée pour les laisser s’égosiller, pleurer, le supplier, il ne le savait pas. Pourquoi il enregistrait leurs gémissements pour en faire une collection qu’il chérissait depuis plus de 34 ans, il ne le savait pas...
Bien refermer derrière moi la cloison et remonter les marches pour redevenir monsieur tout le monde. Je suis né dans cette maison, personne, excepté ma mère et moi, ne connait cette salle. Tant mieux. Des années de labeur pour arriver à mon niveau. Cela fait combien d’années que je peux vivre en toute impunité mes pulsions sans me faire prendre ? Je ne me suis fait pincer qu’une seule fois, à mes 7 ans quand j’avais mutilé le chat de la pute de Degrais… Ça m’aura valu des années de psychanalyse… Merci Docteur Graildou, grâce à vous j’ai tellement appris sur la nature humaine… Dira plus rien la Camille Degrais, mes rosiers s’en portent plutôt bien… Plus de 15 ans après l’épisode du matou j’ai croisé ton chemin par hasard à la grande surface. Quelle naïve d’avoir cru mes excuses pour ton chat. Enfin j’ai dû être convainquant puisque tu m’as ouvert tes cuisses le soir même et moi ton ventre quelques heures après. A l’époque je n’avais que vingt-deux ans et j’imitais les tueurs en série en vogue. Très drôle d’observer sur le poste télé qu’on parlait de moi. J’étais déjà bon…
- Papa !
- Bonjour mon ange !
- Tu fais quoi à la cave ?
- Pas grand-chose, je bricole… tu as lavé tes dents ?
- Affirmatif !
- Bien champion, maintenant au lit !
Coucher le petit et hop soirée tranquille avec ma femme. La plus délicieuse et la plus douce des créatures. Elle ressemble tant à ma mère.
Je me souviens… Je n’ai pas vraiment senti la douleur quand il a sorti son ceinturon, elle méritait que je m’interpose. Il m’a donné le coup de trop, j’avais 13 ans. On l’a retrouvé pendu par ses tripes… mon deuxième crime de haute voltige, bien plus compliqué que celui d’un chat. Je crois que c’est cette nuit-là que j’ai su que je voulais devenir chirurgien. Les policiers n’ont trouvé aucune trace du meurtrier ni de comment cela avait pu se dérouler, ils ont fini par classer l’affaire. Le capitaine avait bien des soupçons mais il n’a jamais pu trouver comment un garçon aussi chétif avait pu avoir le dessus sur une armoire tel que mon père. Quant à ma mère, les traces sur son corps auraient pu justifier d’un crime de vengeance mais elle avait tourné de l’œil à chaque fois qu’on lui montrait les photos du crime.
On vivait bien mieux tous les deux, maman et moi, jusqu’au moment où j’ai dû la faire placer dans une institution. Je ne sais pas si elle a su que c’était moi… peut-être.
A force de ressasser les souvenirs j’ai soudainement envie d’honorer ma femme…
- Chérie ?
- Oui…
- Pas de migraine ce soir… ?
- Oh j’en connais un qui a une idée derrière la tête…
La pourchasser jusque dans notre chambre… On dirait une jeune biche prête à se faire prendre, j’adore cette femme. Je ne dis pas non à une soirée détente demain j’ai mon meeting des meilleurs chirurgiens, le prix de l’année doit m’être remis, il faut que je sois au top !
- Demain c’est ton grand jour, depuis le temps que tu l’attends… doucement ne me déshabille pas si vite… Tu es si rarement à la maison, laisse-moi le temps de te regarder, sentir ton odeur…
Mais si ma chère femme, je suis bien plus souvent à la maison que tu ne le penses…
- Ma doucette, il y a un temps pour tout. Et là, c’est le temps de te vénérer !!!!! Oh ma déesse…
- Ha ha ha…
Maintenant dormir et demain le grand jour… Merde, j’allais presque oublier la gamine de la cave…
Chère Cécile, C'est un texte coup de poing! Il happe notre attention dès les premiers mots ! Quel talent, quelle sensibilité, quel maîtrise de la structure et des images et quelle chute! Bravo! Je partagerai!