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  • Photo du rédacteurSklaeren

Le beau parleur

Dernière mise à jour : 7 mars 2020

Voit-il ? comprend-t-il ? En a-t-il seulement conscience ?


Voilà déjà trois quart d’heures qu’il me parle avec enthousiasme son regard plongé dans le mien. Je n’écoute rien de ce qu’il me dit. Pourtant il semble reprendre davantage d’élans à chacune de mes respirations. Les prendrait-il pour des validations ?


Son visage est émacié, son corps sec et nerveux… on dirait un sidéen. Sa pupille est tellement dilatée qu’elle lui donne un regard noir intense. Elle est bien trop placée au centre de l’œil. A ce point, c’est souvent signe d’un caractère violent… Je crois savoir qu’il est un ancien commando de l’armée de terre. Il était craint de tous, même des têtes les plus brulées. Maintenant à la retraite il occupe ses journées dans la prise d’otage de ses interlocuteurs. Tiens cette pensée me divertit.


Il me distrait. Ce qu’il dit est sûrement très intéressant mais ce pantin désarticulé semble tellement vouloir mon approbation et mon écoute que cela m’amuse davantage que ses propos.


Il parle tout seul.


Non mais vraiment comment ne pas rester estomaqué devant une telle logorrhée !?! Il lit beaucoup de toute évidence, a bien digéré à sa façon les auteurs… que de citations et que de détours de pensées ! C’est à se demander où se place sa personnalité derrière tous ces mots. Il cherche à convaincre sans savoir si je connais déjà le sujet… qu’il est cocasse… Je crois que si je mettais un mannequin de cire devant lui il ne remarquerait même pas mon départ. On dirait un petit garçon dans un corps d’adulte. Cette énergie est déconcertante d’immaturité. A son âge !!

Rohhhh ses changements d’intonations sont remarquables ! Non vraiment, il n’y a pas à dire, je m’amuse beaucoup…


Et en même temps, j’ai pitié de cet homme si seul… Vouloir à ce point alpaguer des auditeurs pour avoir un semblant de discussion, c’est vraiment singulier. A l’entendre pourtant il a plein d’amis à qui il rend beaucoup de services. Ils doivent bien abuser de sa détresse.


Ma femme et mon fils m’attendent et me montrent de l’impatience. Il semblerait que mon temps d’analyse anthropologique de ce drôle de spécimen doive doucher à sa fin.


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