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  • Photo du rédacteurSklaeren

L'escarpin

Dernière mise à jour : 24 août 2019

La maison est fermée, les volets sont clos. Sur le palier, Patricia enfonce la clef dans la serrure. Belle-maman avance les dernières valises vers son gendre pour qu’il les place dans le coffre.

- Tout le monde en voiture ! Patricia… On y va… - Yes papa ! On prend ta grosse voiture !!!! J’adore… - Ben, Bouge, c’est moi qui me mets au milieu cette fois-ci ! - Non, Papa a dit que c’était moi parce que je suis le plus petit et le plus mince… - Vas-y dit que je suis grosse ! T’as que 5 ans, tu ne vas pas au milieu, c’est trop dangereux. - Bon les enfants, si vous commencez… - Mais mamie, c’est Ben qui a commencé… - Camille, tu as 16 ans ! Si vous continuez c’est moi qui vais me mettre au milieu…

Thierry n’entendait plus les cris de ses enfants et de sa belle-mère depuis longtemps. Il avait appris à mettre son écoute sur off. Respirez… oui le yoga faisait bien des miracles et pas que retrouver son corps de jeune homme.

- Papa ! Merde ! - Camille ne parle pas comme ça ! - Papa, tu avais dit que c’était mon tour !!! - Pas mal de route avant d’arriver à la maison des vacances alors disons que tu vas au milieu et à la pause, ce sera ton frère.

Voilà tout le monde est content, pense-t-il. Que c’est bon de se sentir en famille. Hope ne plus penser au boulot. Soupir d’aise… Les cris des enfants ont enfin cessé.

Tout le monde trouve sa place. Belle-maman derrière le conducteur, Camille au milieu et son frère à sa droite qui, à peine la voiture démarrée, s’est endormi. C’était bien la peine de tant d’énervement. Patricia à côté de lui. Il regarde sa femme, lui sourit. Elle lui répond d’une pression douce sur la cuisse.

Patricia aime son mari plus que tout au monde. Elle ne jure et ne vit que par lui, il le sait et aime ça. C’est un jeu entre eux depuis des années. Il se sent adulé, il en a besoin pour se sentir exister. Elle l’admire, elle en a besoin pour être au monde.

La route défile, tout le monde s’est endormi ou presque. Thierry aime les départs matinaux, très vite toute la famille s’endort lui laissant tout le loisir de conduire sans bruit, débat ou dispute. Patricia cherche son masque de nuit dans son sac.

- Comme cela est étrange ma douce, ton sac de Mary Poppins aurait-il mangé ton masque… - Que tu es bête !

Alors que Patricia farfouille et semble partie dans une expédition à hauts risques, Thierry est, quant à lui, gêné dans sa conduite. A ses pieds, un objet volumineux. Il tâtonne avec son pied gauche… Merde ! Ça ressemble à un escarpin. Un regard furtif vers Patricia, elle a retrouvé son masque et le place sur ses yeux. Elle semble heureuse et peut enfin se détendre, lui, cherche à attraper le soulier et s’assurer que ce n’est pas celui de… Un coup de volant brusque en se penchant. Patricia soulève une partie de son bandeau de nuit.

- Ça va ? On a croisé un animal ?

L’escarpin dans la main gauche, Thierry se sent saisi de panique. Elle remonte sournoisement le long de sa colonne vertébrale, la belle panique de se faire prendre… Il serre le soulier contre sa cuisse gauche et la glisse tant bien que mal entre la porte et le fauteuil.

- Oui, rendors-toi, tout va bien.

Il sait très bien qu'il a trompé sa Patricia dans cette voiture avec une femme portant des escarpins, il y a trois jours. C’était la nuit après le banquet pour sa promotion. Bon sang ce qu’il avait bu ! Tous les convives de fin de soirée étaient fins pétés. Patricia et les enfants étaient repartis plus tôt en taxi. Ses parents et la mère de sa femme avaient aussi été invités. C’est Patricia qui avait insisté.

- Une telle promotion se fête en famille ! J’ai invité tes parents à se joindre à nous. Et ma mère… Elle ne va pas fort depuis la mort de papa et comme ça elle sera déjà là pour le départ en vacances. Tu sais combien elle t’apprécie. Son gendre préféré… Ce qu’elle peut m’agacer quand elle dit « Si j’avais ton âge c’est évident que je l’aurais dragué ton Thierry ! » Tu m’écoutes, Thierry ? Arrête de rire ! Y’a rien de drôle c’est ma mère tout de même, ma mère !

Il ne se souvient pas de tous les détails. Juste de cette silhouette féminine dans la sombre ruelle où il avait garé sa voiture. Pas raisonnable de reprendre le volant. Thierry pensait passer la nuit à l’intérieur et faire le point avec le petit matin.

Une belle silhouette aux formes généreuses. Il faisait tellement sombre qu’il n’arrivait pas à distinguer son visage. De toute évidence elle non plus n’était pas dans un état de fraîcheur avancée. Dès qu’il est arrivé à sa hauteur, ses mains sont de suite allées jusqu’à ses hanches, sa gorge, ses seins. Il se souvient qu’il l’avait plaquée contre le pare-chocs dans un élan de désir qu’il n’avait jamais connu de lui. Elle frétillait et se donnait à lui. Des années qu’avec Patricia plus rien ne se passait sur le plan sexuel et ce soir, il avait devant lui un corps qui répondait à toutes ses propositions. Il faisait froid, il a ouvert la voiture. Là, une fois la belle allongée, il était allé directement vers les extrémités de sa partenaire de plaisirs. Deux magnifiques escarpins noirs, assez classique, avec un détail, sur le soulier gauche, une éraflure qui pourrait faire penser à un serpent. Il les a admirés avant de les lui ôter et de lui lécher chacun de ses orteils. Il ne l’avait jamais fait mais ce soir-là tout était permis… La lumière intérieure de la vielle Volvo ne fonctionnait plus depuis longtemps. Visiblement tous deux aimaient cet anonymat. A aucun moment ils n’ont parlé ou émis le moindre mot.

Quand ils eurent terminé, elle s’était rechaussée discrètement, seul le son des talons dans le silence de la nuit indiquait que la belle inconnue partait pour un ailleurs. Une dernière pensée et il s’était endormi : La meilleure nuit de baise jamais inventée dans aucune histoire. Il en était rempli d’extase.


Quand il s’était réveillé le lendemain vers midi, il ne savait plus trop si c’était un rêve ou s’il avait vraiment vécu ces minutes hors du temps. Rien dans la voiture ne donnait à penser qu’il avait fait des folies de son corps. Thierry avait respiré à plein poumon, pas de parfum non plus. Bah, il était rentré chez lui, bien sagement, en évitant les axes principaux.


Faut que je regarde si c’est le soulier. Tout en conduisant Thierry a penché sa tête et Merde ! L’éraflure, serpent !!!! Chier !!! Merde !!! La panique maintenant le couvre comme un manteau. Il pourrait ouvrir la fenêtre, mais sur l’autoroute, avec la vitesse le vent va faire un boucan de tous les diables. Il va réveiller tout le monde. Et s’il le fait rapidement ?

- Papa, c’est quoi que tu caches ? - Quoi, Camille ? - Ben, tu n’arrêtes pas de regarder sur ta gauche au lieu de regarder la route… - Tu ne dors pas ? - Si mais, j’ai grave envi de faire pipi

Super ! Oui s’arrêter à la premier station-service… Merci ma fille tu es formidable !

- Ok mon lapin, on s’arrête à la première station. Et je ne cache rien, c’est ma cuisse qui me démange. - Et ben gratte toi !

A la station, l’arrêt de la voiture réveille belle-maman et Patricia.

- On est déjà arrivé ? demande Patricia dans une voix encore en sommeil. - Non, c’est une pause rapide pipi pour Camille, tu peux te rendormir. Camille, ne réveille pas ton frère ! - Oui, je fais attention. - On est arrivé ? - Non maman, c’est Thierry qui fait une pause pour Camille. - Rendormez-vous mesdames, nous revenons. - Oui, revenez-nous mon gendre… - Maman ! - Détends-toi, Patricia, tu vas réveiller le petit…

En sortant le soulier tombe…

- Vous avez fait tomber quelque chose mon beau-fils… - Ce n’est rien ! - Tout doux, je vous le signalais juste… Que vous êtes tendu tous les deux, les vacances vont vous faire du bien !

Thierry a pris l’escarpin qu’il a serré contre lui et a foncé directement vers les toilettes des hommes. A croisé sa fille juste avant de s’y engouffrer.

- Papa, je retourne à la voiture…

J’espère qu’elle n’a rien vu... une chance qu’elle était dans son écran… Bon maintenant s’en séparer. Tiens une poubelle, ha ha ha, ciao !

J’aime trop ma vie avec ma femme, non, je ne supporterai pas qu’elle demande le divorce juste pour une sauterie passagère. En même temps je ne regrette rien, car ce soulier me prouve que ce n’était pas un rêve ! Bon sang, on était bourré, certes, mais que c’était bon ! Ha ha ha, je n’ai pas rêvé ! L’escarpin, comment j’ai fait pour ne pas l’avoir vu dans la voiture avant ! Qu’est-ce que je ne donnerai pas pour m’abandonner encore à elle… Je devrais peut-être garder le soulier comme pour cendrillon. Puff, t’es con Thierry ! Allez zou à la benne, Cendrillon.

Dans la voiture, tout le monde s’est rendormi. La route fut bonne jusqu’à la maison de bord de mer qui n’attendait qu’eux pour reprendre vie. Tout le monde était de belle humeur sauf belle maman qui sortit de la voiture contrariée.

- Un souci maman ? - Je ne comprends pas, je ne retrouve plus ma chaussure…

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